1821-1913 L’indépendance du domaine maritime

, par Webmestre

M’accorderez-vous quelques instants pour que je vous conte une époque où la mer Égée est devenue définitivement une mer grecque ? C’était il y a un peu plus d’un siècle au cours du mois de janvier 1913...

Les événements que je vais vous évoquer sont le complément des luttes héroïques de la guerre d’Indépendance de 1821. En effet, victorieuse sur terre en 1832, la Grèce se devait d’être victorieuse sur mer en 1913 pour sécuriser son territoire terrestre et maritime.

Un timbre commémoratif du centenaire de l’indépendance de la Grèce

Voyons plutôt...

Le Victory, L’Hermione, Le senkan Mikasa, Le croiseur Aurore, Le cuirassé Potemkine, L’Iron Duke, Le Porte-avions Yorktown...

Ils sont peu nombreux, en fait, les navires de guerre qui sont devenus par leurs faits d’armes, éternels. La plupart, mais pas tous, ont été conservés et sont devenus des musées flottants.

Le croiseur-cuirassé Γεώργιος Αβέρωφ (Georgios-Averoff) est de ceux-là. Il mouille aujourd’hui à Glyfada dans le port de Phalère. Il est depuis longtemps une légende de la mer.

Quel navire ce fut ! Par deux fois, à Έλλη (Elli) et Λήμνος (Lemnos), à lui seul, il remporta la bataille face à la flotte turque ! Je peux vous dire que cela est extrêmement rare dans l’histoire maritime. Le senkan « Yamato » (71 000 tonnes), le « Bismark » (41 000 tonnes) et l’ « Admiral Graf Spee » pourtant redoutables ne purent s’inscrire dans un fait d’armes aussi brillant face à une flotte ennemie. Les marins turcs effrayés par ses performances exceptionnelles l’appelèrent le « Sheitan Papor » c’est-à-dire le Navire du Diable.

Et pourtant, il ne « déplaçait » que modestement à peine plus de 10 000 tonnes. Un « petit » parmi les grandes unités navales.

Le « Georgios-Averoff » (lithographie libre de droits)

18 janvier 1913 : Quand les Grecs s’assurent la maîtrise absolue de la mer Egée

Ce glorieux fait d’armes n’est plus souvent évoqué aujourd’hui. Pourtant, il y a plus d’un siècle, il a appartenu aux Grecs armés d’avions français d’inventer un nouveau type de combat sur mer, révolutionnaire, associant le navire et l’avion, l’eau et l’air : l’Aéronavale.

Les illustres Porte-avions américains et japonais lors du Second Conflit Mondial engagés à la Bataille de la Mer de Corail, à celle de la Mer des Philippines ou à celle de Midway qui décidèrent de l’issue de la guerre dans le Pacifique ont tous suivi l’exemple de la marine grecque à la Bataille de Lemnos où le croiseur-cuirassé « Georgios-Averoff » affronta la flotte turque avant que des officiers grecs aux commandes d’un hydravion français, « Maurice Farman » ne bombardent la flotte turque à l’intérieur même du détroit des Dardanelles.

En ce jour du 18 janvier 1913, la marine de guerre grecque mit en déroute la marine turque assurant définitivement à la Grèce la maitrise totale de la Mer Egée, désormais Mer Grecque. Les bateaux turcs se replièrent dans le Détroit des Dardanelles et n’en sortirent plus.

La bataille de Lemnos : les préliminaires

En ce début janvier 1913 le temps était anormalement doux sur toute l’Europe et sur nos deux patries : la France et la Grèce.

Le 4 , la flotte turque tente de sortir prudemment de son mouillage bien protégé au sein du détroit des Dardanelles.

Les deux croiseurs turcs Medjidieh et Hamidieh engagent le feu avec les unités grecques. Le gros de la flotte grecque visible à horizon incite les unités turques à regagner prudemment leur mouillage de Nagara au sein du détroit.

Plus rien ne se passe de notable pendant 10 jours.

Le 15 janvier, profitant du rideau de brume qui est tombé sur le détroit des Dardanelles, l’escadre turque appareille à 3 heures du matin. Le temps est très mauvais et les bâtiments turcs hésitent à s’aventurer en pleine mer. Ils regagnent à nouveau le détroit. Pourtant, le croiseur Hamidieh se sépare du reste de la flotte. Il parvient à contourner l’escadre grecque sans être repéré et atteindre l’île de Syros. Dans le port d’Ermoupolis, est amarré le Makedonia, navire marchand converti en transport de troupes faiblement armé, muni de trois canons de 75 mm. Le croiseur Hamidieh ouvre le feu sur la ville et sur le navire au mouillage. Le Makedonia coule et ce fait d’armes provoque une grande émotion en Grèce. N’exploitant pas son avantage le croiseur turc appareille vers Beyrouth et le canal de Suez et disparait du théâtre des opérations.

L’affrontement

Dans la journée du 17 janvier, à Paris, les chambres ont élu Raymond Poincaré, Président de la République Française. Il présidera la France lors du Premier Conflit Mondial.

Dans la nuit du 17 au 18 janvier, le gouvernement ottoman ordonne aux 17 navires que compte sa flotte à l’entrée du détroit des Dardanelles d’appareiller pour prendre la mer et se porter au contact de la flotte grecque. La supériorité numérique turque, les grecs ne disposant que de 11 navires, fait espérer aux turcs le succès d’un engagement.

A 8h, le 18, le croiseur Medjidieh et 4 contre-torpilleurs précèdant le gros des unités turques et voguant vers l’ouest au sud de l’île d’Imbros tentent d’entraîner une partie de la flotte hellénique vers l’ouest afin de diviser ses forces.

La flotte grecque est commandée par un illustre marin, le Contre-Amiral Παύλος Κουντουριώτης (Pavlos Koundouriotis) qui sera plus tard Ministre de la Marine pendant la Première Guerre Mondiale puis Président de la République Hellénique de 1924 à 1929. Son portrait orne les pièces de 100 € émises par la Grèce en 2012.

Pavlos Koundouriotis interprète immédiatement les intentions turques. Il attend.

A 9h 15, les principales unités de la flotte turque, cap au sud, sont en vue entre le Cap Sainte-Irène de Lemnos et l’île de Ténédos. Surgissent les cuirassés Torghout, Messoudieh, Assar-I-Tevfik et Barbaros Hayreddin, navire amiral du commandant de la flotte turque : Ahmed Ramiz Bey. Ils sont accompagnés de 8 contre-torpilleurs.

Quelques minutes plus tard, vers 9h 20, la flotte grecque appareille de la baie de Moudros dans l’île de Lemnos. Elle est composée notamment du croiseur cuirassé Georgios-Averoff commandé par Pavlos Koundouriotis, des cuirassés Hydra, Psara et Spetzaïn de 3 à 4 000 tonnes chacun et de 7 petits destroyers de moins de 1000 tonnes.

Il est 10 heures environ quand les deux flottes se font face.

Le combat s’engage à 11h, à une distance de 8 km, légèrement au sud des îles de Lemnos et Ténédos. Il est extrêmement intense.

A 11h 20, le Georgios-Averoff se porte à 4 km de la flotte turque faisant feu de ses canons de 234 et 190 mm. L’escadre turque abandonne une demi-heure plus tard son objectif initial c’est-à-dire atteiindre l’île de Ténédos. Les turcs virent de bord pour rejoindre au plus vite l’entrée du détroit des Dardanelles et abandonnent le combat. En retraite, la flotte turque devient la proie de l’artillerie grecque.

La poursuite est violente menée par le Georgios-Averoff, rapide, à plus de 20 nœuds (37 km/h) avec des pointes à 24 nœuds (44,5 km/h). Il est seul. Les petits cuirassés Hydra, Psara et Spetzaï trop lents ne peuvent suivre. Cible du feu de toute la flotte turque, le Georgios-Averoff est endommagé à l’avant par le seul obus turc qui l’ait atteint.

A 14h, la flotte turque parvient à se réfugier dans le détroit. Le Georgios-Averoff qui ne peut répondre aux batteries terrestres turques de Seddul Bahr (« Les murs de la mer » sur la presqu’île de Gallipoli) qui causeront de très nombreux morts parmi le contingent franco-britannique lors de la première guerre mondiale et de Koum Kalé (« Le Château des sables » à proximité immédiate de la plaine de Troie) se retire vers 14h 30.

Si la flotte grecque ne compte qu’un seul blessé : un marin du Georgios-Averoff dont il faudra réparer les avaries, la flotte turque déplore près de 200 tués et blessés et deux navires gravement endommagés : le Barbaros Hayreddin partiellement en feu et le Torgout qui donne de la gite (il s’incline latéralement ayant été sérieusement touché).

Affiche commémorative des victoires navales de la Grèce (Affiche libre de droits)

Désormais la flotte turque ne sortira plus du détroit des Dardanelles laissant le contrôle absolu de la mer Égée à la flotte grecque. Cela constituera un atout majeur pour nos poilus d’Orient les « Dardas », pour la France et l’Angleterre alliés de la Grèce au cours du Premier Conflit Mondial.

Le 24 janvier 1913, deux officiers grecs Μιχαήλ Μουτούσης (Michael Moutoussis) et Αριστείδης Μωραϊτίνης (Aristidis Moraitinis), à bord d’un hydravion de construction française « Farman MF 7 » repèrent la flotte turque en mouillage à Nagara, dans le détroit des Dardanelles, à mi-chemin entre la mer Égée et la mer de Marmara. Ils larguent quatre bombes sur la flotte turque ce qui constitue la première opération aéronavale de l’histoire du monde.

Les deux pilotes s’illustreront ensuite brillamment au cours du Premier Conflit Mondial. Αριστείδης Μωραϊτίνης surnommé « L’As de la Méditerranée » périra accidentellement sur le Mont Olympe en décembre 1918. Il était titulaire de 9 victoires homologuées.

Plus rien ne sera désormais comme avant en matière de offensive navale...

C’est à peu près ce que virent aux commandes de leur "Farman MF 7" Moutoussis et Moraitinis le 24 janvier 1913 en survolant les Dardanelles (Photographies libres de droits)

Edouard Thilliez