Ce soir, 5 juin 1827, nous aurons quitté l’Acropole Nous y reviendrons !!!

mardi 25 mai 2021
par  Webmestre
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« On ne gagne pas les guerres en réussissant des évacuations » ces mots furent prononcés par Sir Winston Churchill au lendemain de Dunkerque le 5 juin 1940.

Par la suite la Grande-Bretagne remporta le Second Conflit Mondial.

Ces mots auraient pu, tout autant, être prononcés par le Peuple Grec le 5 juin 1827 lors de l’évacuation de l’Acropole d’Athènes par ses défenseurs.

Par la suite, la Grèce remporta l’Επανάσταση, la Guerre d’indépendance et défit l’Empire ottoman.

Le miracle de Dunkerque porte en lui les valeurs essentielles de résolution inébranlable du Peuple Britannique face au danger et le courage des Français des Flandres, de Lille et d’Arras qui a 1 contre 4 purent contenir et retarder, quelques jours, l’armée hitlérienne et permirent ce miracle.

Le siège et l’évacuation de l’Acropole portent en eux les mêmes valeurs grecques d’héroïsme et de sacrifice propres aux très grands peuples.

113 années jour pour jour séparent ces deux dates. On pourrait presque évoquer une gémellitude.

En ce mois d’avril 1826 après la chute de Messolonghi (voir le précédent article de Christos Zias sur notre site) nous entamions la 5e année de Guerre pour l’indépendance et les insurgés grecs en lutte pour la Liberté étaient en grande difficulté que ce fut dans le Péloponnèse ou en Grèce Centrale.

 

La pacification du Péloponnèse et de la Grèce Centrale

Une fois obtenue la capitulation de Messolonghi, la stratégie ottomane consista à « pacifier » c’est-à-dire à anéantir par une action combinée tous les derniers foyers de résistance grecs à la fois sur l’ensemble du Péloponnèse et sur la Grèce Centrale Aux 25 000 Égyptiens d’Ibrahim Pacha, fils de Mehmet Ali, souverain d’Égypte, incombait la tâche d’asservir la totalité du Péloponnèse tandis que les turcs de Mehmet Réchid Pacha, qui deviendra Grand Vizir, devaient s’assurer le contrôle de la Grèce centrale au sud des Thermopyles et notamment de l’Attique, de la Béotie et de l’Etolie. En effet, le principal centre de résistance des insurgés grecs était alors Athènes qui constituait la dernière place forte commandée par Γιάννης Γκούρας (Yannis Gouras).

Yannis Gouras qui mourut au combat le 1er octobre 1826 en défendant l’Acropole d’Athènes était Klephte et Armatole (les armatoles étaient un corps de miliciens grecs créé au 16e siècle, chargé par les Turcs de la police en Grèce. Pour la plupart les armatoles rallièrent la cause de l’indépendance dès 1821). Gouverneur d’Athènes il était proche de Ιωάννης Κωλέττης (Yannis Colletis) et de Γιάννης Μακρυγιάννης (Yannis Macryiannis).

Ιωάννης Κωλέττης (Yannis Colletis)

Γιάννης Γκούρας

(Yannis Gouras)

La « normalisation » de l’Attique

Ce qui constitue aujourd’hui la Région de l’Attique subit une attaque en tenaille des forces turques. Au nord, les contingents cantonnés dans l’île d’Eubée déferlèrent sur le Nord de l’Attique. L’avant garde de l’armée de Mehmet Réchid Pacha venant de l’ouest fit sa jonction avec eux le 11 juillet 1826 à Καπανδρίτι (Kapandríti) au nord d’Athènes, non loin de l’immortel village de Marathon là où 23 siècles plus tôt Athéniens et Platéens avaient sauvé de la barbarie notre civilisation occidentale, créée par eux.

Dès lors les deux contingents turcs fusionnés forts de plus de 10 000 hommes et 25 canons marchèrent sur Athènes selon l’itinéraire de l’actuel autoroute E 75.

Athènes qui avait cessé d’être une cité-métropole depuis des siècles était alors une bourgade blottie au pied de l’Acropole.

 

Plan d’Athènes par Louis-François Fauvel (1753- 1838) Domaine public

Face à cette armée turque, l’insurrection grecque ne pouvait opposer que 800 combattants Grecs et Philhellènes et 400 Armatoles ralliés à la cause de l’indépendance.

Les Grecs et les Philhellènes retranchés dans Athènes allaient être confrontés au choix éternel de tout homme sur terre : se soumettre ou résister.

Tous choisirent le combat.
 

Athènes capitule. L’Acropole assiégé résiste

Le 23 juillet, les turcs contournèrent la ville et s’emparèrent de la Colline des Muses (Λόφος Φιλοπάππου) face à l’Acropole. De cette hauteur, ils entreprirent de bombarder Athènes au canon en attendant l’arrivée de Mehmet Réchid Pacha en personne, le 28 juillet.

Soumise à un bombardement quotidien incessant qui s’intensifia à partir du 10 août, ses défenseurs submergés par le nombre des assaillants, Athènes capitula le 15 août après un nouveau bombardement très destructeur et un assaut général des Turcs.

C’est ici qu’intervient une figure française de légende, emblématique, indissociable de la Guerre d’indépendance grecque : celle du Colonel Baron Charles Nicolas Fabvier, officier supérieur de la Grande Armée, héros de la campagne de Russie et ardent Philhellène. Carbonaro (c’est-à-dire révolutionnaire et militant de l’Unité italienne), humaniste et franc-maçon, il avait été mis à l’écart après la chute de l’Empire et la restauration des Bourbons (il avait signé la reddition de Paris en 1814 au nom de Napoléon Ier). Il prit avec enthousiasme fait et cause pour les insurgés grecs qu’il rejoignit en 1823. Il constitua et forma une armée régulière bien entraînée de 3000 combattants recrutée dans tout le Péloponnèse à la demande du jeune Gouvernement Grec.

 

Γιάννης Μακρυγιάννης (Yannis Macryiannis)

Charles Nicolas Fabvier

Γεώργιος Καραϊσκάκης (Georgios Karaïskákis)

 

 

Le 18 août, le Colonel Fabvier et Γεώργιος Καραϊσκάκης (Georgios Karaïskákis) entreprirent de dégager l’Acropole assiégé. L’offensive menée depuis Éleusis par Daphni et Haïdari, se poursuivit jusqu’au 20 août mais sans succès. Elle permit toutefois d’évacuer des civils de l’Acropole vers l’île de Salamine.

Bien que souffrant de tuberculose et souvent affaibli par la maladie, Γεώργιος Καραϊσκάκης fut un immense résistant de la première heure dès le printemps 1821. Héros des combats d’Etolie et d’Arcananie en Grèce Centrale, il s’illustra au siège de Messolonghi et remporta la bataille décisive d’Arachova près de Delphes en novembre 1826.

 

Les vaines tentatives répétées turques pour s’emparer de l’Acropole

Il est alors à souligner un fait particulièrement odieux au regard de l’héritage culturel de l’humanité : Mehmet Réchid Pacha ne cessait de bombarder les insurgés retranchés sur l’Acropole. Ne pouvant obtenir des résultats il entreprit alors de miner les défenses de l’Acropole au niveau de l’Odéon d’Hérode Atticus à proximité du Mur de Cimon exposant ainsi l’infrastructure du monument à des destructions irréparables. Ses assauts répétés se heurtèrent à l’héroïque défense du Rocher-Sacré par les insurgés et les mines, danger permanent pour le monument, n’eurent pas l’effet escompté. Conscient de la lassitude de ses troupes après 3 mois d’échecs répétés, Mehmet Réchid Pacha tenta pour les motiver un assaut de nuit, le 18 octobre 1826, sur le mur de défense appelé « Serpentzé » à l’ouest de l’Odéon d’Hérode Atticus. Ce fut un échec qui se solda par de nombreux morts dans les deux camps.

Un autre assaut fut tenté par les Turcs au niveau de la tour Franque qui avait été construite par les ducs d’Athènes seigneurs français de la famille de Brienne en Champagne au Moyen-Âge, entre les Propylées et le Temple de la Victoire Aptère. Ce fut un échec total. Il est à noter que les assiégés réussirent à déminer les soubassements de l’entrée de l’Acropole avant qu’ils n’explosent. Les assauts turcs se raréfièrent à mesure que la fin de l’année 1826 approchait.

 

Photographie de la Tour Franque de l’Acropole (démolie en 1874) Domaine public

 

Du côté des assiégés

Les assiégés au nombre de 900 volontaires en état de combattre avaient pu rassembler suffisamment de vivres pour tenir un siège prolongé. Ils manquaient toutefois de de munitions et avaient besoin, pour un siège qui prendrait de longs mois d’être ravitaillés par l’extérieur.

Dès la fin septembre les assiégés de l’Acropole avaient demandé au Gouvernement Grec siégeant à Egine des renforts en munitions indispensables à la tenue du siège. Le 23 octobre, aidés des unités de Fabvier et de Karaïskakis, 400 à 450 volontaires originaires d’Etolie et d’Arcananie réussirent à passer les lignes turques et à rejoindre leurs camarades dans l’Acropole.

Fin novembre, Makryiannis qui faisait partie des assiégés réussi à traverser les lignes turques puis à rejoindre le Gouvernement Grec dans la tour Markellos à Egine (voir article précédent sur le site) afin de demander à nouveau des renforts. La mission fut alors confiée au Colonel Fabvier de ravitailler l’Acropole en mobilisant un contingent qu’on espérait d’au moins 1000 hommes. Le Colonel Favier ne put rassembler dans la presqu’île de Μέθανα (Méthana) au sud d’Egine que 650 combattants dont une quarantaine de Français pour débarquer non loin d’Athènes dans la soirée du 12 décembre. Fabvier força violemment le barrage des lignes turques et réussit à pénétrer dans l’Acropole et ravitailler en munitions les assiégés avec un minimum de pertes : 7 morts dont 2 Français.

 

L’hiver de 1826-1827 sur l’Acropole

Cela devait être le sixième et dernier hiver que les insurgés grecs passeraient seuls face aux forces turques et égyptiennes, au redoutable Empire Ottoman qui avait il n’y a pas si longtemps assiégé Vienne la capitale autrichienne. Personne ne le savait encore mais l’année 1827 serait le Grand Tournant de la Guerre d’indépendance grâce à la mobilisation des Philhellènes français, britanniques et russes.

De janvier à mai se succédèrent une série de tentatives grecques et philhellènes pour débloquer l’Acropole. Le gouvernement grec d’Égine y mit parfois les plus gros moyens dont il pouvait disposer associant armée de terre et marins.

 

 

De famille crétoise exilée à Kéfalonie puis en France, le Colonel Κονσταντινος Διονύσιος Βούρβαχης (Constantin Denis Bourbaki) formé à l’Ecole militaire interarmes de Saint-Cyr était un vétéran des guerres de la Révolution et de l’Empire. Il s’était notamment brillamment illustré en défendant Toulouse face aux armées de Wellington en 1814. Grec et Français il avait rejoint la cause de l’indépendance en 1826. Il mourra le 8 février 1827 à la bataille de Kamatero au nord d’Athènes.

Il était le père du Général Charles Denis Bourbaki à qui on avait proposé en 1862 le trône de Grèce compte tenu de ses origines Helléniques. Il avait alors refusé. Commandant en chef des armées françaises sur le front de l’Est pendant la guerre de 1870-1871, chargé de dégager Belfort, il avait évité à 90 000 soldats français la capture par les Prussiens et la captivité en Allemagne en désarmant son armée par son passage en Suisse. Auparavant il avait largement contribué à recruter les territoriaux de l’armée du Nord qui sous les ordres du Général Léon Faidherbe battirent les Prussiens à Bapaume le 3 janvier 1871 (où mon arrière grand-père a combattu, NDLR) évitant ainsi l’annexion du Nord-Pas-de-Calais par la Prusse en 1871 comme ce fut malheureusement le cas pour l’Alsace-Lorraine.

Pendant ce temps Georgios Karaïskakis qui devait trouver une mort héroïque le 23 avril 1827 au combat de Phalère, avait pu reconquérir la Grèce centrale de la mer Adriatique à la Béotie.

Après plusieurs tentatives infructueuses menées avec la médiation de la France, le 27 mai 1827, les insurgés acceptèrent de négocier. C’est l’Amiral Henri de Rigny qui servit de médiateur face à Mehmet Réchid Pacha. Les insurgés retranchés dans l’Acropole, intraitables sur ce point d’honneur, sortirent de la forteresse le 5 juin 1827 avec armes, drapeau et bagages ce qui constituait, au vu des usages militaires, une demi-victoire.

 

Ils furent 2000 à descendre les Propylées dont 500 femmes autant combattantes que les hommes. Ils furent 2000 héroïnes et héros emportant leur drapeau invaincu.

En conclusion de cette page héroïque de l’Επανάσταση (Guerre d’indépendance) je veux dédier à chaque lecteur ces deux vers de Yannis Ritsos issu de "Grécité".

Car, enfin qu’est-ce qui unit mieux Grecs et Philhellènes que la Grécité ?

Τόσα χρόνια πολιορκημένοι ἀπὸ στεριὰ καὶ θάλασσα

ὅλοι πεινᾶνε, ὅλοι σκοτώνονται καὶ κανένας δὲν πέθανε

« Ρωμιοσύνη » - Γιάννης Ρίτσος

 

Tant d’années assiégés par terre et par mer,

Tous ont faim, tous succombent mais aucun d’eux ne meurt

« Grécité » - Yannis Ritsos

 

Edouard Thilliez